mercredi 13 juin 2012

Opinion:Notes de lecture sur : « La question du régionalisme et du sectarisme dans la conquête du pouvoir d’Etat, du Dahomey au Bénin : origines et manifestations » de Léon Bani BIO BIGOU


 Dans un bref et excellent exposé d’une quarantaine de pages, l’enseignant-chercheur Léon Bani BIO BIGOU de l’Université d’Abomey-Calavi a, dans son ouvrage intitulé « La question du régionalisme et du sectarisme dans la conquête du pouvoir d’Etat, du Dahomey au Bénin : origines et manifestations », apporté une contribution remarquable au débat (ancien et nouveau) sur le régionalisme et le sectarisme au Bénin.
Avant tout propos, il nous paraît important de remercier l’auteur pour le courage politique et intellectuel qu’il a eu de poser sans détours le problème du régionalisme et du sectarisme dans la conquête du pouvoir politique au Bénin. Son courage intellectuel est d´autant plus louable qu’il a osé, à travers cet ouvrage, contrairement à bon nombre d´intellectuels béninois, aborder un des sujets cruciaux de la politique au Bénin que seuls les politiciens manient à leur guise pour servir leurs intérêts égoïstes : la chasse aux postes administratifs et politiques. Contribuant ainsi aux débats sur le régionalisme et le sectarisme au Bénin, l´auteur vient d’ouvrir une piste de réflexions pour guérir le Bénin de ce mal qui le ronge et continue d’assombrir notre avenir.

La jeune génération ne saurait être maintenue dans l’ignorance des évènements du passé. La méconnaissance des faits historiques ne peut en aucune façon aider la nouvelle génération à dépasser les rancœurs du passé et tendre vers une solidarité des peuples du Bénin. Ainsi, la connaissance et la prise en compte du passé constituent pour l´auteur une condition sine qua non de la consolidation des peuples béninois. Nous réaffirmons avec lui que : « Le pays (le Bénin) ne pourra jamais avancer dans le mensonge, l’hypocrisie et la malhonnêteté. »
Pour notre analyse, nous distinguons deux périodes : i) de la période coloniale à l’avènement du renouveau démocratique en 1990 ; et ii) l´ère du renouveau démocratique de 1990 à 2011.
La période allant de 1894 à 1990 : Cette période, assez bien documentée par l’auteur, retrace l’histoire politique du Bénin sur fond des rivalités entre les premiers hommes politiques du pays : Maga, Ahomadégbé, Apithy. Cette partie de l’ouvrage a relevé un fait marquant de la période coloniale du Dahomey : le sud a été le premier à être mis en contact avec le colon et a été utilisé par ce dernier pour conquérir la partie septentrionale du pays. Cette situation a déjà créé les germes des conflits postérieurs entre les régions.
Corollaire de  cette situation, l’école a très tôt pénétré le sud bien avant la partie septentrionale. Les  ressortissants du sud ont été employés dans l’administration coloniale dès ses premières heures : instituteurs, infirmiers, agents de police, interprètes ont aidé le colon à asseoir sa domination. La plupart des premiers intellectuels/hommes politiques sont issus du sud. Il en est résulté :
- primo : les gens du sud, considérés comme alliés du colon ont été détestés au même titre que le colon par les ressortissants du nord ;
- secundo : les premiers groupements politiques du Dahomey n’ont pas connu la présence notable des intellectuels du nord.
L’auteur note bien cette réalité lorsqu’il écrit (page 7) : « les septentrionaux ne reconnaissent pas et n’acceptent pas la domination dahoméenne sous le couvert de la puissance coloniale française. »
Les rivalités entre régions sont antérieures à la prise de conscience politique des intellectuels dahoméens. Les anciens conflits entre le royaume d’Abomey et ses voisins ont créé des situations où les autres peuples du territoire acceptent mal de se mettre dans un creuset unique sous la dénomination de Dahomey. C’est à cette question qu’a tenté de répondre le Président Kérékou en choisissant le nom Bénin en 1974.
Le sud du Bénin est plus peuplé que le nord. A l’indépendance les ressortissants du sud se retrouvent plus nombreux que ceux du nord dans la jeune Administration dahoméenne. Ces deux facteurs (historique et démographique) donnent l’impression à certains intellectuels que le nord est sous représenté dans la fonction publique et dans les postes de responsabilité et que par conséquent, il y a discrimination.
La colonisation ayant pénétré le pays par le sud, les infrastructures installées au sud sont plus importantes que celles installées dans la partie septentrionale..
Ces réalités héritées de l’histoire sont vite agitées par certains intellectuels (quelque soit leur région d’origine) pour réclamer des postes auxquels leurs compétences ne leurs donnent pas droit, ou pour exiger des infrastructures à des endroits où la densité de population ne le justifie pas.
L’accession à l’indépendance mit en scène les hommes politiques dahoméens. Leurs rivalités personnelles nourries à la source du sectarisme et du régionalisme aboutiront aux crises suivies de massacres des années 1963 et 1964. L’auteur considère les évènements de 1964 comme conséquences directes des évènements d’octobre 1963 ; vrai ou faux,  nous laissons le soin à d’autres historiens plus avertis de dire leur part de vérité.
Toujours est-il que ces rivalités successives suscitèrent les nombreux coups d’Etat dont le dernier qui réussit fut celui du 26 octobre 1972. Comme le souligne l’auteur, cette période donna un semblant de répit au régionalisme, mais « c’était un volcan politique en sommeil, emprisonné sous les roches sociologiques pesantes de la dictature militaire. »
Dans un souci d’éviter le réveil de ce volcan, sous le PRPB (Parti de la Révolution Populaire du Bénin), il fut institué l’équilibre régional comme critère de nomination des cadres. Pour Nassirou Arifari Bako, la logique du terroir dans les nominations des cadres est présente comme « règle pragmatique » et « instrument souterrain du jeu politique ».
L’institution de ce principe, ajouta au problème politique d’opposition entre régions, un problème de développement : celui de la gestion des ressources humaines. A partir de ce moment l’opposition du nord au sud n’est plus « purement politique » comme l’indique l’auteur à la page 25.
Bien sûr nos populations en dehors des périodes électorales vivent sans problème, se côtoient, se fréquentent, exploitent les mêmes marchés du nord au sud, se marient entre eux ; plusieurs compatriotes du sud travaillent et s’installent au nord et vice-versa. Mais l’institution du principe d’équilibre régional dont les contours sont mal définis permet à chaque ministre ou chef d’institution d’en faire usage dans le sens qui lui convient en plaçant les cadres qu’il veut aux postes qu’il veut sans tenir nécessairement compte des compétences et de l’expérience. 
Aujourd’hui en 2011, s’il est vrai qu’il est utile de raconter le passé à la jeune génération, pouvons-nous ou devons-nous chercher à trouver des coupables dans une situation qui est d’ordre historique ? L’auteur à la page 25 écrit « le sectarisme et le régionalisme ne sont pas institués par le Nord.» Comme l’une des causes de cette affirmation l’auteur ajoute : «le Nord n’a réagit qu’à la provocation pour chercher à s’affirmer ; il n’avait jamais brigué la première place.» Nous nous posons alors la question suivante : le sectarisme et le régionalisme ont-ils été institués par le Sud ? Répondre par l’affirmative à cette question  ne reviendrait-elle pas à légitimer toutes les dérives du présent ? On n’en finirait alors jamais de se jeter les torts les uns aux autres. Or l’auteur a bien fait de dire dans son exposé qu’il ne s’agit pas de se rejeter les torts dans ce fléau qui mine le pays.
Tous les béninois d’aujourd’hui et dahoméens d’hier sont le produit de leur histoire, histoire dont ils n’ont pas toujours été les principaux acteurs. Certaines réalités sont les conséquences de l’histoire coloniale et non le fait d’une politique voulue et entretenue par une partie du pays contre une autre.
Comme l’auteur, nous croyons fermement que seules les valeurs intrinsèques des individus et non leurs origines doivent être les critères d’éligibilité aux postes de responsabilité.
L’ère du Renouveau Démocratique : 1990 à aujourd´hui
Cette période, si proche de nous est paradoxalement peu documentée par l’auteur. Et pour étayer le sujet, l’auteur n’a retenu que les propos tenus en 2010 (et rapportés par les journaux) par Mme Rosine V. Soglo et M. Bruno Amoussou. Or pendant la même période de campagne, les cardes et personnalités du nord se sont réunis à Bassila et les propos tenus à cette rencontre ne sont pas tous décents à faire écouter au grand public.
Dès l’avènement du Renouveau Démocratique, beaucoup de cadres ont –à tort et à raison – utilisé  les lobbies de toutes sortes pour avoir accès aux postes de responsabilité : lobbies politique, associatif, régional, ethnique et religieux.
M. N. A. Bako écrit : « La représentation des six départements du pays au gouvernement et dans les structures administratives de commandement a été formalisée à travers le critère dit de l’équilibre inter-régional, autrement dit une officialisation d’une des règles officieuses du jeu politique déjà en œuvre sous le régime de Kérékou. » Cette politique apporte dans le jeu électoral ce que Reckya Madougou appelle le « clientélisme du terroir ».
Une politique dite « des quotas » est venue officieusement régler l’accès des citoyens aux postes de la fonction publique. Ici il ne s’agit seulement plus des nominations qui sont à la discrétion du gouvernement, c’est l’ensemble des postes de la l’administration publique et para-publique qui est pris d’assaut.
L’article 8 de la constitution de 1990 affirme que l’Etat assure à ses citoyens l'égal accès à la santé, à l'éducation, à la culture, à l'information, à la formation professionnelle et à l'emploi. L’article 153 du même texte stipule que l'État veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale, des potentialités régionales et de l'équilibre interrégional. Doit-on comprendre que la « politique des quotas » est une mise en application de l’article 153 de la constitution ? Et cette application est-elle conforme à l’article 8 qui veut un égal accès des citoyens à l’emploi ?
Des concours officiels de recrutement sont assortis de quotas régionaux. Les résultats proclamés par les jurys sont tamisés dans des sphères officieuses avant proclamation officielle. Les délibérations des concours et tests durent des mois voire année, alors que dans ce même pays les délibérations des examens nationaux (BAC, BEPC, CEP) se font en quelques semaines.
La base de calcul des quotas reste floue, aléatoire et opaque. Est-ce le nombre de candidats par région qui est la base de calcul ? Est-ce le nombre d’habitants par région ? Est-ce le nombre de scolarisés par région ?  Autant d’inconnus qui laissent ouvert la porte à toutes sortes d’injustices aux détriments des uns ou des autres et selon le bon vouloir des ministres, des directeurs des examens et concours, des diverses autorités en charge de ces recrutements.
Le débat sur le régionalisme et le sectarisme s’impose inévitablement et je souscris avec l’auteur au recours aux archives. Mais loin d’établir une échelle de mesure du « degré de régionalisme » des Présidents passés et actuel, il s’agit pour nous de savoir si la politique actuelle du gouvernement porte atteinte à l’égalité des droits des citoyens et si oui ; prendre les décisions idoines pour redresser la barre. Les Présidents passés peuvent avoir fait preuve de plus ou moins de régionalisme, mais ce n’est en aucun cas une raison pour tolérer les mêmes dérives aujourd’hui.
 Il faut rouvrir les archives des différents concours et tests de recrutement qui ont eu lieu depuis l’ère du changement. Il faut répertorier depuis au moins 5 années toutes les nominations en conseil des ministres. Au-delà des cabinets ministériels, il faut aller vers les sociétés d’Etat, les projets d’Etat, les Ambassades et autres postes au niveau international et sous-régional. Et analyser toutes ces données en tenant compte de la composition ethnique de notre population.
Pour illustrer ses propos, l’auteur donne (à la page 32) deux exemples avec chiffres :
i) sous le Président Kérékou, cadres nommés : 78 ministres et préfets dont 20 du nord et 58 du sud – 178 directeurs généraux dont 20 du nord et 158 du sud).
ii) sous le Président Yayi : sur les 8 les hautes juridictions de l’Etat (Assemblée nationale, Cour constitutionnelle, Conseil économique et social, Organe présidentiel de médiation, Haute cour de justice, Grande Chancellerie de l’ordre national du Bénin, Haute autorité de l’audio-visuel et de la communication, Cour suprême) 6 sont dirigées par des personnalités du sud et 2 par des personnalités du nord, alors que dans  le gouvernement, 21 membres sur les 30 sont du sud.
Ce déséquilibre apparent soulevé par l’auteur ne révèle pas les dessous du système. D’une part, l’on ne peut faire aucune conclusion à la lecture de ces chiffres sans les rapporter aux proportions des différentes régions en termes de nombre d’habitants et de nombre de cadres. D’autre part, un déséquilibre ou un équilibre dans les plus hautes institutions du pays n’induit pas indubitablement la même situation au niveau de l’administration publique. Il est normal et loisible pour le Chef de l’Etat de nommer qui il veut au poste qu’il veut au niveau des hautes institutions de l’Etat. Mais Il faudra aller voir plus loin le processus de recrutement dans l’administration publique, les nominations dans les sociétés, offices et projets d’Etat pour se rendre compte de l’existence ou non de discrimination ; qu’elle soit politique, religieuse ou ethnique.
Si équilibre interrégional il doit y avoir, les proportions des cadres d’une région ou ethnie dans les grands corps d’Etat (armée-gendarmerie-police-marine-armée de l’air-finance-santé-éducation etc.) devrait correspondre à la proportion de l’ethnie ou de la région dans la population totale. Si l’équilibre genre devrait mécaniquement s’instaurer, on aurait au moins 50 % de femmes dans les instances dirigeantes ! A notre sens, seules devront compter les compétences, car par où que l’on passe pour appliquer « la politique de quotas », il y aura toujours des catégories de béninois lésés. Alors laissons place au mérite!
L’équilibre interrégional devrait se comprendre comme la mise en commun des richesses du pays au profit du développement de toutes les régions, l’accès équitable de toutes les communes du Bénin aux services socio-éducatifs de base.
Pour conclure
Léon Bani BIO BIGOU a donné avec franchise sa vision des origines et des manifestations du régionalisme et du sectarisme au Bénin. L’objectif poursuivi par cet ouvrage est noble : éclairer le passé pour mieux construire l’avenir du Bénin dans l’unité de tous ses fils.
Bien des points de son analyse nous réconfortent, mais nous ne sommes pas sur les mêmes longueurs d’ondes quand aux causes, manifestations et  apports de solution.
Le préambule de la constitution de 1990 réaffirme l’opposition de notre peuple à toute forme de régionalisme. Aujourd’hui, la priorité, c’est d’instaurer un débat national franc au sujet de toutes les formes d’exclusion et de discrimination. Il revient à notre génération d’assurer un développement équilibré de toutes les régions sans tomber dans le régionalisme.
Nous avons le devoir de trouver une réponse pertinente à cette question. Profiter d’une position temporairement dominante pour imposer sa solution est une bombe silencieuse posée sous les pieds des futures générations.
Par Dossa Tokpélé Gansin, Ingénieur
Ouvrages cités
Nassirou Arifari Bako. Démocratie et logique du terroir au Bénin. In Politiques africaines N°59, 1995
Reckya Madougou. Mon combat pour la parole, L’harmattan, 2008
Léon Bani Bio Bigou. La question du régionalisme et du sectarisme dans la conquêt du pouvoir d’Etat, du Dahomey au Bénin : origines et manifestations, 2011

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