Avant tout
propos, il nous paraît important de remercier l’auteur pour le courage
politique et intellectuel qu’il a eu de poser sans détours le problème du
régionalisme et du sectarisme dans la conquête du pouvoir politique au Bénin.
Son courage intellectuel est d´autant plus louable qu’il a osé, à travers cet
ouvrage, contrairement à bon nombre d´intellectuels béninois, aborder un des
sujets cruciaux de la politique au Bénin que seuls les politiciens manient à
leur guise pour servir leurs intérêts égoïstes : la chasse aux postes
administratifs et politiques. Contribuant ainsi aux débats sur le régionalisme
et le sectarisme au Bénin, l´auteur vient d’ouvrir une piste de réflexions pour
guérir le Bénin de ce mal qui le ronge et continue d’assombrir notre avenir.
La jeune
génération ne saurait être maintenue dans l’ignorance des évènements du passé.
La méconnaissance des faits historiques ne peut en aucune façon aider la
nouvelle génération à dépasser les rancœurs du passé et tendre vers une
solidarité des peuples du Bénin. Ainsi, la connaissance et la prise en compte
du passé constituent pour l´auteur une condition sine qua non de la consolidation
des peuples béninois. Nous réaffirmons avec lui que : « Le pays (le
Bénin) ne pourra jamais avancer dans le mensonge, l’hypocrisie et la
malhonnêteté. »
Pour notre
analyse, nous distinguons deux périodes : i) de la période coloniale à
l’avènement du renouveau démocratique en 1990 ; et ii) l´ère du renouveau
démocratique de 1990 à 2011.
La période allant de 1894 à
1990 : Cette
période, assez bien documentée par l’auteur, retrace l’histoire politique du
Bénin sur fond des rivalités entre les premiers hommes politiques du
pays : Maga, Ahomadégbé, Apithy. Cette partie de l’ouvrage a relevé un
fait marquant de la période coloniale du Dahomey : le sud a été le premier
à être mis en contact avec le colon et a été utilisé par ce dernier pour
conquérir la partie septentrionale du pays. Cette situation a déjà créé les
germes des conflits postérieurs entre les régions.
Corollaire
de cette situation, l’école a très tôt
pénétré le sud bien avant la partie septentrionale. Les ressortissants du sud ont été employés dans
l’administration coloniale dès ses premières heures : instituteurs,
infirmiers, agents de police, interprètes ont aidé le colon à asseoir sa
domination. La plupart des premiers intellectuels/hommes politiques sont issus
du sud. Il en est résulté :
- primo :
les gens du sud, considérés comme alliés du colon ont été détestés au même
titre que le colon par les ressortissants du nord ;
-
secundo : les premiers groupements politiques du Dahomey n’ont pas connu
la présence notable des intellectuels du nord.
L’auteur
note bien cette réalité lorsqu’il écrit (page 7) : « les
septentrionaux ne reconnaissent pas et n’acceptent pas la domination dahoméenne
sous le couvert de la puissance coloniale française. »
Les
rivalités entre régions sont antérieures à la prise de conscience
politique des intellectuels dahoméens. Les anciens conflits entre le royaume
d’Abomey et ses voisins ont créé des situations où les autres peuples du
territoire acceptent mal de se mettre dans un creuset unique sous la
dénomination de Dahomey. C’est à cette question qu’a tenté de répondre le
Président Kérékou en choisissant le nom Bénin en 1974.
Le sud du
Bénin est plus peuplé que le nord. A l’indépendance les ressortissants du sud
se retrouvent plus nombreux que ceux du nord dans la jeune Administration
dahoméenne. Ces deux facteurs (historique et démographique) donnent
l’impression à certains intellectuels que le nord est sous représenté dans la
fonction publique et dans les postes de responsabilité et que par
conséquent, il y a discrimination.
La
colonisation ayant pénétré le pays par le sud, les infrastructures installées
au sud sont plus importantes que celles installées dans la partie
septentrionale..
Ces réalités
héritées de l’histoire sont vite agitées par certains intellectuels (quelque
soit leur région d’origine) pour réclamer des postes auxquels leurs compétences
ne leurs donnent pas droit, ou pour exiger des infrastructures à des endroits
où la densité de population ne le justifie pas.
L’accession
à l’indépendance mit en scène les hommes politiques dahoméens. Leurs rivalités
personnelles nourries à la source du sectarisme et du régionalisme aboutiront
aux crises suivies de massacres des années 1963 et 1964. L’auteur considère les
évènements de 1964 comme conséquences directes des évènements d’octobre
1963 ; vrai ou faux, nous laissons
le soin à d’autres historiens plus avertis de dire leur part de vérité.
Toujours
est-il que ces rivalités successives suscitèrent les nombreux coups d’Etat dont
le dernier qui réussit fut celui du 26 octobre 1972. Comme le souligne
l’auteur, cette période donna un semblant de répit au régionalisme, mais
« c’était un volcan politique en sommeil, emprisonné sous les roches
sociologiques pesantes de la dictature militaire. »
Dans un
souci d’éviter le réveil de ce volcan, sous le PRPB (Parti de la Révolution
Populaire du Bénin), il fut institué l’équilibre régional comme critère de
nomination des cadres. Pour Nassirou Arifari Bako, la logique du terroir dans
les nominations des cadres est présente comme « règle pragmatique »
et « instrument souterrain du jeu politique ».
L’institution
de ce principe, ajouta au problème politique d’opposition entre régions, un
problème de développement : celui de la gestion des ressources humaines. A
partir de ce moment l’opposition du nord au sud n’est plus « purement
politique » comme l’indique l’auteur à la page 25.
Bien sûr nos
populations en dehors des périodes électorales vivent sans problème, se
côtoient, se fréquentent, exploitent les mêmes marchés du nord au sud, se
marient entre eux ; plusieurs compatriotes du sud travaillent et
s’installent au nord et vice-versa. Mais
l’institution du principe d’équilibre régional dont les contours sont mal
définis permet à chaque ministre ou chef d’institution d’en faire usage dans le
sens qui lui convient en plaçant les cadres qu’il veut aux postes qu’il veut
sans tenir nécessairement compte des compétences et de l’expérience.
Aujourd’hui
en 2011, s’il est vrai qu’il est utile de raconter le passé à la jeune
génération, pouvons-nous ou devons-nous chercher à trouver des coupables dans
une situation qui est d’ordre historique ? L’auteur à la page 25 écrit
« le sectarisme et le régionalisme ne sont pas institués par le Nord.»
Comme l’une des causes de cette affirmation l’auteur ajoute : «le Nord n’a
réagit qu’à la provocation pour chercher à s’affirmer ; il n’avait jamais
brigué la première place.» Nous nous posons alors la question suivante :
le sectarisme et le régionalisme ont-ils été institués par le Sud ? Répondre
par l’affirmative à cette question ne
reviendrait-elle pas à légitimer toutes les dérives du présent ? On n’en
finirait alors jamais de se jeter les torts les uns aux autres. Or l’auteur a
bien fait de dire dans son exposé qu’il ne s’agit pas de se rejeter les torts dans
ce fléau qui mine le pays.
Tous les béninois d’aujourd’hui et
dahoméens d’hier sont le produit de leur histoire, histoire dont ils n’ont pas
toujours été les principaux acteurs. Certaines réalités sont les conséquences de l’histoire
coloniale et non le fait d’une politique voulue et entretenue par une partie du
pays contre une autre.
Comme
l’auteur, nous croyons fermement que seules les valeurs intrinsèques des
individus et non leurs origines doivent être les critères d’éligibilité aux
postes de responsabilité.
L’ère du Renouveau
Démocratique : 1990 à aujourd´hui
Cette
période, si proche de nous est paradoxalement peu documentée par l’auteur. Et
pour étayer le sujet, l’auteur n’a retenu que les propos tenus en 2010 (et
rapportés par les journaux) par Mme Rosine V. Soglo et M. Bruno Amoussou. Or
pendant la même période de campagne, les cardes et personnalités du nord se
sont réunis à Bassila et les propos tenus à cette rencontre ne sont pas tous
décents à faire écouter au grand public.
Dès
l’avènement du Renouveau Démocratique, beaucoup de cadres ont –à tort et à
raison – utilisé les lobbies de toutes
sortes pour avoir accès aux postes de responsabilité : lobbies
politique, associatif, régional, ethnique et religieux.
M. N. A.
Bako écrit : « La représentation des six départements du pays au
gouvernement et dans les structures administratives de commandement a été
formalisée à travers le critère dit de l’équilibre inter-régional, autrement
dit une officialisation d’une des règles officieuses du jeu politique déjà en
œuvre sous le régime de Kérékou. » Cette politique apporte dans le jeu électoral
ce que Reckya Madougou appelle le « clientélisme du terroir ».
Une
politique dite « des quotas » est venue officieusement régler l’accès
des citoyens aux postes de la fonction publique. Ici il ne s’agit seulement
plus des nominations qui sont à la discrétion du gouvernement, c’est l’ensemble
des postes de la l’administration publique et para-publique qui est pris
d’assaut.
L’article 8
de la constitution de 1990 affirme que l’Etat assure à ses citoyens l'égal
accès à la santé, à l'éducation, à la culture, à l'information, à la formation
professionnelle et à l'emploi. L’article 153 du même
texte stipule que l'État veille au développement harmonieux de toutes les
collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale, des
potentialités régionales et de l'équilibre interrégional. Doit-on comprendre
que la « politique des quotas » est une mise en application de
l’article 153 de la constitution ? Et cette application est-elle conforme
à l’article 8 qui veut un égal accès des citoyens à l’emploi ?
Des concours
officiels de recrutement sont assortis de quotas régionaux. Les résultats
proclamés par les jurys sont tamisés dans des sphères officieuses avant
proclamation officielle. Les délibérations des concours et tests durent des
mois voire année, alors que dans ce même pays les délibérations des examens
nationaux (BAC, BEPC, CEP) se font en quelques semaines.
La base de
calcul des quotas reste floue, aléatoire et opaque. Est-ce le nombre de
candidats par région qui est la base de calcul ? Est-ce le nombre
d’habitants par région ? Est-ce le nombre de scolarisés par
région ? Autant d’inconnus qui
laissent ouvert la porte à toutes sortes d’injustices aux détriments des uns ou
des autres et selon le bon vouloir des ministres, des directeurs des examens et
concours, des diverses autorités en charge de ces recrutements.
Le débat sur
le régionalisme et le sectarisme s’impose inévitablement et je souscris avec
l’auteur au recours aux archives. Mais loin d’établir une échelle de mesure du
« degré de régionalisme » des Présidents passés et actuel, il
s’agit pour nous de savoir si la politique actuelle du gouvernement porte
atteinte à l’égalité des droits des citoyens et si oui ; prendre les
décisions idoines pour redresser la barre. Les Présidents passés peuvent avoir
fait preuve de plus ou moins de régionalisme, mais ce n’est en aucun cas une
raison pour tolérer les mêmes dérives aujourd’hui.
Il faut rouvrir les archives des différents
concours et tests de recrutement qui ont eu lieu depuis l’ère du changement. Il
faut répertorier depuis au moins 5 années toutes les nominations en conseil des
ministres. Au-delà des cabinets ministériels, il faut aller vers les sociétés
d’Etat, les projets d’Etat, les Ambassades et autres postes au niveau
international et sous-régional. Et analyser toutes ces données en tenant compte
de la composition ethnique de notre population.
Pour
illustrer ses propos, l’auteur donne (à la page 32) deux exemples avec
chiffres :
i) sous le
Président Kérékou, cadres nommés : 78 ministres et préfets dont 20 du nord
et 58 du sud – 178 directeurs généraux dont 20 du nord et 158 du sud).
ii) sous le
Président Yayi : sur les 8 les hautes juridictions de l’Etat (Assemblée
nationale, Cour constitutionnelle, Conseil économique et social, Organe
présidentiel de médiation, Haute cour de justice, Grande Chancellerie de
l’ordre national du Bénin, Haute autorité de l’audio-visuel et de la
communication, Cour suprême) 6 sont dirigées par des personnalités du sud et 2
par des personnalités du nord, alors que dans
le gouvernement, 21 membres sur les 30 sont du sud.
Ce
déséquilibre apparent soulevé par l’auteur ne révèle pas les dessous du
système. D’une part, l’on ne peut faire aucune conclusion à la lecture de ces
chiffres sans les rapporter aux proportions des différentes régions en termes
de nombre d’habitants et de nombre de cadres. D’autre part, un déséquilibre ou
un équilibre dans les plus hautes institutions du pays n’induit pas
indubitablement la même situation au niveau de l’administration publique. Il
est normal et loisible pour le Chef de l’Etat de nommer qui il veut au poste
qu’il veut au niveau des hautes institutions de l’Etat. Mais Il faudra aller
voir plus loin le processus de recrutement dans l’administration publique, les
nominations dans les sociétés, offices et projets d’Etat pour se rendre compte
de l’existence ou non de discrimination ; qu’elle soit politique,
religieuse ou ethnique.
Si équilibre
interrégional il doit y avoir, les proportions des cadres d’une région ou
ethnie dans les grands corps d’Etat (armée-gendarmerie-police-marine-armée de
l’air-finance-santé-éducation etc.) devrait correspondre à la proportion de
l’ethnie ou de la région dans la population totale. Si l’équilibre genre
devrait mécaniquement s’instaurer, on aurait au moins 50 % de femmes dans les
instances dirigeantes ! A notre sens, seules devront compter les
compétences, car par où que l’on passe pour appliquer « la politique de
quotas », il y aura toujours des catégories de béninois lésés. Alors
laissons place au mérite!
L’équilibre
interrégional devrait se comprendre comme la mise en commun des richesses du
pays au profit du développement de toutes les régions, l’accès équitable de toutes
les communes du Bénin aux services socio-éducatifs de base.
Pour conclure
Léon Bani
BIO BIGOU a donné avec franchise sa vision des origines et des manifestations
du régionalisme et du sectarisme au Bénin. L’objectif poursuivi par cet ouvrage
est noble : éclairer le passé pour mieux construire l’avenir du Bénin dans
l’unité de tous ses fils.
Bien des
points de son analyse nous réconfortent, mais nous ne sommes pas sur les mêmes
longueurs d’ondes quand aux causes, manifestations et apports de solution.
Le préambule
de la constitution de 1990 réaffirme l’opposition de notre peuple à toute forme
de régionalisme. Aujourd’hui, la priorité, c’est d’instaurer un débat national
franc au sujet de toutes les formes d’exclusion et de discrimination. Il
revient à notre génération d’assurer un développement équilibré de toutes les
régions sans tomber dans le régionalisme.
Nous avons
le devoir de trouver une réponse pertinente à cette question. Profiter d’une
position temporairement dominante pour imposer
sa solution est une bombe silencieuse posée sous les pieds des futures
générations.
Par Dossa
Tokpélé Gansin, Ingénieur
Ouvrages cités
Nassirou Arifari Bako. Démocratie et
logique du terroir au Bénin. In Politiques africaines N°59, 1995
Reckya Madougou. Mon combat pour la
parole, L’harmattan, 2008
Léon Bani Bio Bigou. La question du
régionalisme et du sectarisme dans la conquêt du pouvoir d’Etat, du Dahomey au
Bénin : origines et manifestations, 2011